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Citations
8 février 2007

Didier CORNAILLE

LES VOISINS DE L'HORIZON

"c'est peu de dire que Lazare était heureux.Le lui suggérer aurait été,à n'en pas douter,l'étonner grandement et déjà remettre en question ce bien-être dont la perfection venait essentiellement de la question de son existence qu'il ne se posait pas.
Il était heureux,un point, c'est tout.Et c'était bien comme ça.Il était heureux comme le temps,heureux comme la nature autour de lui,heureux comme le chien roulé en boule au pied du grand hêtre et qui le surveillait du coin de l'oeil,heureux de ce regard attaché à lui comme la vie."

"Puis la mode était passée du violoneux précédent les noces.Allez arranger ça dans un cortège de voitures...Les phonographes avaient vaincus les ménestriers et le rock avait eu raison de la bourrée et de la mazurka.
En même temps que se dissolvait insidieusement une certaine joie de vivre à la campagne,le violon s'était peu à peu fait oublier.Remisé dans l'ombre du haut de l'armoire,il avait cédé la place à la TSF avant même que la télévision vienne achever de délabrer jusqu'au souvenir de cela."

"Car Lazare n'avait pas prévu de retour!Il partait,voilà tout.Par les chemins,pour le "comment";à l'instant,pour le "quand";mais sans autre idée du "où" qu'un facile "Saint-Jacques-de machinchose" qui restait irrévocablement,pour lui,une simple vue de l'esprit.
Et d'ailleurs,peu lui mportait.Partir lui suffisait.Après...Quoi,après? Il irait,voilà tout,dans les pas de ces martiens qui avaient défilé sur le chemin,"le GR",comme ils disaient,durant la saison dernière,et qui devaient bien savoir où ils allaient puisqu'ils y allaient avec tant d'assurance et d'enthousiasme."

"Jusque-là,il ne s'était jamais posé la question de savoir comment pouvaient bien être faites les vignes dont il amait tant déguster les produits.Et,après tout,il avait bien vécu dans son ignorance.Mais, à savoir,il n'en ressentait pas moins une sorte de jubilation dont il tirait tout le plaisir de son errance.Il réalisait qu'à pousser toujours plus loin sa marche,il apprenait de plus en plus de choses.C'était comme le moulin qui se serait alimenté à sa propre énergie.Plus il en découvrait,plus il avait envie d'en savoir.Et plkus lui venait l'art de rencontrer les gens et de se griser à leurs récits qu'il savait de mieux en mieux provoquer."

"Lazare fulminait.-Les rats grondait-il.ILs n'en auront donc jamais assez?Il faut tout de même mépriser drôlement les gens pour en venir là.Des sous,encore des sous.Il leur en faudra donc toujours plus?...........Désormais,plus rien ne serait commme avant.Il ne pourrait plus se contenter de recevoir,avec une joviale insouciance,toutes ces découvertes qui l'avaient poussé,depuis son départ,à aller voir,toujours un peu plus loin,comment étaient le monde et les hommes.Désormais la question était en lui et ne le quitterait plus:qui profitait de tout ce qu'il avait pris,jusque-là,pour de simples bénédictions du ciel auquel,d'ailleurs,il ne croyait pas?Désormais,qu'il le veuille ou non,il lui faudrait,à chaque instant,se poser la question du bon et du mauvais.Il lui faudrait mettre bon ordre à ses convictions et à ses croyances et ne plus se contenter,comme il l'avait fait jusque-là,de se ranger benoîtement du côté de ceux qui l'amusaient ou savaient le mieux écouter ses sornettes.Et l'envie furieuse lui venait,comme à Paul,de percer le secret de ces hommes de jadis pour qui l'argent et le pouvoir comptaient bien moins que l'ouvrage bien fait.Déjà,il cherchait autour de lui et s'exaspérait de ne rien trouver d'autre que le voile opaque du gain auquel chacun s'acharnait tant et tant,dans un tel fracas que plus rien n'était perceptible des anciennes vérités entrevues de manière si fugace,en même temps que,du doigt,il suivait les brèves et discrètes signatures des compagnons bâtisseurs."

"...On n'a jamais rien fait d'autre que de copier la nature.Et,ma foi,c'était peut-être leur génie,à tes bâtisseurs,d'avoir compris ça et d'avoir été assez modestes pour aller cherhcher leurs modèles dans la nature.Il manquait à Paul,le citadin de Belleville,les références nécessaires pour pouvoir entrer un pareil raisonnement.Faute d'avoir appris à se débrouiller au sein de la nature,il avait tendance à ne se souvenir que de ses manifestations qui l'effrayaient d'autant plus qu'il ne savait s'en protéger....Depuis qu'il avait pris les chemins,il avait beau faire,il ne parvenait pas à se défaire de la sensation qu'il évoluait dans un milieu hostile qui n'était pas fait pour lui.Alors,comment concevoir que tant de beauté ait pu naître d'un milieu dont il ne parvenait à retenir que ses capacités à l'agresser?Avec ses mots à lui,il le dit à Lazare.celui-ci écouta avec,dans les yeux,comme une grande commisération-tu ne sais pas regarder....si tu ne te donnes pas la peine de comprendre le pays qui les entoure,tu ne feras jamais rien d'autre que de t'extasier bêtement devant la beauté de ce qu'ils ont fait.Et tu ne sauras jamais pourquoi ils l'ont fait.Et moi,tu vois,dans cette affaire,s'il y a une chose qui m'intéresse,c'est bien justement de savoir ce qui leur a donné la force de réaliser tout ça là plutôt qu'ailleurs.Que ça te plaise ou non,c'est ça l'important."

Orcival

(Orcival)"La source du narthex ne coule plus.Faut-il y voir le signe de l'extrème lassitude des dieux celtes que l'on vénérait ici bien avant....Il y avait l'ancien,le vénérable,celui que l'on rendait,depuis toujours aux dieux païens,autour des sources de cette étroite vallée.Et puis,il y avait le nouveau,celui du Dieu unique,de la mère et dufils.Etaient-ils si différents,dans les premiers temps,lorsqu'il ne s'agissait que de prêcher l'amour et le respect de son prochain?...On a vu des druides,comme Colomban,devenir évêques sans rien renier d'eux mêmes ni de leur enseignement.Mais on ne vit jamais l'inverse.La vieille religion,comm l'aïeul au coin du feu que plus rien n'occupe que lui-même et ses souvenirs,n'y pris pas garde.Et l'autre,la nouvelle,forte de sa bouillonnante jeunesse,de ses martyrs ....sut bien qu'il lui fallait occuper seule la place ou mourir.Elle la pris donc.Et sans ménagement....Et ce fut fort à propos,comme en bon nombre d'autres lieux,que l'on trouva,près de la source d'Orcival,au lendemain des ultimes et dévastatrices invasions normandes,une représentation de la vierge.Comme elle ne voulut à aucun prix s'éloigner du frais vallon,il ne restait à ses "découvreurs" qu'à tirer les conclusions qui s'imposaient.Il fallait,incontinent,lui bâtir sur place un sanctuaire à l'image de sa miraculeuse présence....il se trouva pourtant que le maître compagnon eut un discret sourire lorsque l'ombre portée du gnomon qu'il venait de planter révéla à l'assistance médusée qu'il indiquait aussi bien le tombeau de la Vierge,à l'orient,que,à l'occident,la source sacrée des druides qui coulait de la paroi rocheuse sur laquelle allait être appuyé le narthex de la basilique."

"-ça ne te dis rien,à toi?insistait-il.Tu ne peux pas te rendre compte,toi.Une source sacrée sous le porche d'une basilique! Il s'enflammait et devenait lyrique -Le ver païen dans le fruit chrétien.Plus encore:pas  un fidèle,pas un prêtre,pas un évèque,pas même un cardinal qui,accédant au saint lieu,n'ait dù se soumettre à l'influence de la source.Ah!il pouvait avoir le sourire,le maître compagnon,en plantant le gnomon.Il savait ce qu'il faisait,le bougre.Et la source du narthex n'est qu'un sourire,un clin d'oeil qu'il s'est permis pour mieux dissimuler celle-là,sous le porche."

"-Quand je leur racontais mes balivernes comme ça,pour le plaisir,ça leur plaisait,ça leur plaisait pas,je n'en avais rien à faire.Et puis ça leur plaisait,sinon,ils ne seraient pas restés.Mais quand on s'est mis à faire payer,ça n'a plus été la même chose.Les gens,quand ils paient,ils n'ont plus le respect de ce qu'ils achètent.Sous prétexte qu'ils ont donné leurs sous,ils veulent qu'on leur donne ce qu'ils ont envie d'avoir,pas ce que toi tu as envie de leur donner.D'ailleurs,tu ne donnes plus rien,tu vends.Tu comprends,C'est plus la même chose.A Nasbinals,c'était le soir de la foire aux bestiaux.....Mais alors les hommes Ils ont payé.Alors,ils se sont cru tout permis,et même de ne pas nous écouter.Remarque bien que j'y ai vite mis bon ordre.Je les ai même traités de paysans!c'est pour dire.Et on est allé au bout de notre spectacle sans trop d'ennuis.Mais,tu vois,ils m'ont fait mal,ces gens-là.Ils n'étaient pas venus pour écouter ce qu'on avait à leur dire et tâcher de comprendre,mais pour s'offrir une pinte de rire aux dépens de ceux qu'ils avaient achetés.Pour dire vrai,ils s'en fichaient comme de leur première chemise,de nos histoires......Alors,là,ça m'a fait quelque chose.L'odeur,le bruit,les cris,les meuglements..Est-ce que je sais,moi?Et puis ces malappris qui sabotent notre spectacle parcequ'ils ont payé.Là,que je me suis dit,mon vieux Lazare,le temps de tes balivernes est passé.Faut pas refuser de tourner les pages.Celle-là,elle est derrière.T'as accepté de mettre les sous là-dedans,c'est fini,t'as plus qu' à en tirer les conséquences.Et, pour de vrai,je serais bien rentré direct."


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